« C’est ahurissant ! Franchement, la honte pour le tribunal. » Sur Twitter, les juristes commentent durement le dernier retournement de situation qui se profile dans le procès d’Haurus. Cette affaire rocambolesque met en cause un brigadier de la DGSI, poursuivi pour avoir revendu pendant plus d’un an des informations issues de fichiers de police sur des marchés noirs. Ce dossier judiciaire emblématique des manigances du « darknet » semblait terminé, sauf appel d’une des parties, avec le délibéré rendu ce jeudi 22 juillet. Mais c’était sans compter sur un rebondissement inattendu, extrêmement rare dans le droit français.

Lors du délibéré, rendu un mois après les trois jours d’audience de la mi-juin, le tribunal correctionnel de Nanterre a eu la main lourde : la défense de Christophe B., alias Haurus sur la marketplace illégale Blackhand, n’a pas convaincu. Les trois magistrats l’ont condamné à une peine de sept ans d’emprisonnement, dont deux ans avec sursis. Une durée assez proche des réquisitions du parquet, qui avait demandé sept ans d’emprisonnement ferme. Le policier a aussi été interdit d’exercer dans la fonction publique et a été placé sous mandat de dépôt, c’est-à-dire arrêté. Son compagnon et quatre anciens clients ont également écopé de peines allant du sursis pour un détective privé, à de la prison ferme pour une figure du grand banditisme marseillais.

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Haurus vendait les fichiers de police sur des marchés noirs. // Source : Louise Audry pour Numerama.

Au cours du procès, auquel Numerama avait assisté, Haurus était revenu sur l’engrenage fatal — surendettement et appât du gain — qui l’avait amené à frayer avec des escrocs pour « mettre du beurre dans les épinards. » À propos de ses 382 recherches illégitimes — sur des identités, adresses ou géolocalisations — faites en douce dans des fichiers sensibles, l’ancien policier racontait ses questionnements de l’époque : « Est-ce qu’une recherche sur un fichier de cartes grises aura un impact, est-ce qu’elle sera vue dans la masse [des recherches]? »

Une erreur rare, mais pas inédite

À la lecture du prononcé de sa peine, Haurus comprend qu’il doit retourner en détention. Cet homme de 35 ans enlace tendrement son compagnon avant de se faire passer les menottes. Un instant de sensibilité passé au second plan pour de nombreux juristes. Car ces derniers s’étouffent dans leur café sur un point précis de la peine prononcée. Sept ans de prison, dont deux ans avec sursis ? Pour eux, cela ne colle pas. « Ça me paraît [être] une peine illicite », remarque aussitôt une magistrate très active sur les réseaux sociaux.

Selon les explications détaillées de l’administration française, le sursis simple ou le sursis probatoire ne peuvent en effet être appliqués à des peines d’emprisonnement supérieures à cinq ans, une durée portée à dix ans si le prévenu est en situation de récidive, ce qui n’était pas le cas d’Haurus. « Ces dispositions sont dans le Code pénal depuis 1994 », enrage une des parties du procès. « Un élève en droit qui met cela dans une copie, il ramasse », résume Me Frédéric Berna, ancien bâtonnier des avocats de Nancy, interrogé par Numerama. « Soit c’est une bourde énorme, soit il y a une exception méconnue, et dans ce cas là je veux bien l’explication », ajoute-t-il.

Même si le droit peut réserver des surprises, c’est pour l’instant la première option, celle d’une décision erronée des magistrats, qui tient la corde. Le parquet du tribunal judiciaire de Nanterre, qui a suivi l’affaire depuis ses débuts, a en effet confirmé à Numerama cette analyse. Pour le ministère public, une partie de la peine prononcée jeudi contre Haurus semble bien entachée d’illégalité. Le parquet, qui est susceptible de faire appel, a également précisé qu’il examinait la situation. « Cela fait partie des cas de figure extrêmement difficiles à faire comprendre à un justiciable », soupire Me Éric Morain, partie civile au procès. Si la « bourde » est avérée, elle serait rare, mais pas inédite, comme en témoigne un arrêt de la Cour de cassation daté de 2013. La haute instance s’était alors penchée sur l’exécution d’une peine illégalement prononcée devenue définitive.

Reste une question : cette erreur, si elle se confirme,  peut-elle jouer en faveur d’Haurus ? Pas forcément. En cas d’appel, Christophe B. pourrait très bien, à la suite d’un nouveau procès, être condamné à une peine encore plus lourde, par exemple sept ans ferme, sans sursis. Contacté, son avocat, Me Bouzrou, n’a pas souhaité faire de commentaire.


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