Plusieurs internautes ont relayé des sextapes attribuées à Benjamin Griveaux par un site auparavant inconnu. Si cette diffusion d’images privées dont il est victime est avérée, elle est encadrée par la loi. De la première personne qui a publié les images jusqu’à celles qui les partagent sur Twitter, toutes s’exposent à des sanctions judiciaires. Face à cette vague qu’on peut qualifier de revenge porn, le candidat à la mairie de Paris a décidé d’arrêter sa campagne.

Ce vendredi 14 février, à 9 heures, le candidat à la mairie de Paris Benjamin Griveaux a annoncé qu’il se retirait de la campagne depuis les locaux de l’Agence France Presse. La veille, aux alentours de 18 heures, plusieurs vidéos à caractère sexuel, supposément filmées par le candidat lui-même et adressées à une jeune femme, étaient diffusées en masse sur les réseaux sociaux et les forums, après avoir été publiées sur un site internet créé pour l’occasion.

Dans sa conférence de presse, Benjamin Griveaux a déclaré : « Un site internet et des réseaux sociaux ont relayé des attaques ignobles mettant en cause ma vie privée. Ma famille ne mérite pas cela. Personne, au fond, ne devrait jamais subir une telle violence. »

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Le site sur lequel les vidéos ont été publiées

Des échanges sur trois messageries privées

Toutes ces images et discussions sexuelles proviennent d’un article signé par l’artiste russe Piotr Pavlenski, publié sur un site dont nous ne donnerons pas le nom. Elles sont accompagnées d’un long pamphlet contre le membre de la République en Marche. Sur certaines captures, les conversations sont datées de mai 2018.

Ces prétendus échanges rendus publics proviendraient de trois sources : iMessage [l’application de messagerie des iPhone, ndlr], la messagerie privée d’Instagram, et Messenger (la messagerie rattachée Facebook). Sur cette dernière, les deux interlocuteurs utilisent la fonctionnalité conversation secrète. Elle permet de chiffrer les messages selon un protocole de sécurité réputé : ni Facebook, ni un malfaiteur qui intercepterait la conversation ne pourrait lire son contenu. L’option donne aussi la possibilité de limiter la durée d’apparition d’un contenu, de la même manière que Snapchat.

Mais surtout, ces échanges ont été émis dans le cadre de la vie privée. C’est pour cette raison que le site d’information Mediapart dit avoir refusé la proposition de Piotr Pavlenski, qui voulait leur communiquer les vidéos pour enquêter. Mediapart précise également que l’homme est recherché par la police pour violences volontaires. De son côté, Libération rappelle que l’artiste a déjà été incarcéré en Russie pour ses actions contre le régime de Vladimir Poutine, et en France pour avoir incendié les portes de la Banque de France.

L’atteinte à la vie privée mène à des sanctions lourdes

Richard Malka, l’avocat de Benjamin Griveaux, a précisé à 20 Minutes qu’il allait engager des poursuites pour « atteinte à la vie privée ». Deux textes vont nourrir son dossier : l’article 9 du Code civil , et l’article 226-1-2 du Code pénal.

Le premier dispose : « Chacun a droit au respect de sa vie privée ». Il donne aux juges le pouvoir de prescrire des mesures de «  séquestre, saisie et autres », qui permettrait « d’empêcher où de faire cesser une atteinte à la vie privée. » Mais Sabine Marcellin, avocate chez Aurore Légal que nous avons contactée, tempère l’efficacité de ces outils : « La loi fonctionnait bien pour les journaux, qu’on pouvait intercepter avant qu’ils soient diffusés. Mais avec Internet on est obligé, le plus souvent, d’intervenir après publication. » Les tribunaux peuvent tout de même émettre des injonction à cesser la diffusion d’un site. Dans ce cas, ils s’adressent à l’éditeur du site (qui n’est pas précisé dans ce cas), ou à tous les prestataires techniques, dont l’hébergeur. Ces derniers n’ont pas autant de responsabilité sur le contenu, mais peuvent être sollicités.

Le second article mentionné par l’avocat de Griveaux précise les sanctions. Plus précisément, l’article 226-2 du code pénal qualifie de délit l’enregistrement et la transmission d’images d’une personne dans un lieu privé. Ce qui semble être le cas des images compromettantes. Et depuis le 9 octobre 2016, un nouvel article, dédié au revenge porn, est entré en vigueur : le 226-2-1. Il alourdit les sanctions des deux précédents articles si les paroles et les images diffusées sont à caractère sexuel. La peine s’élève alors à deux ans d’emprisonnement et 60 000 euros d’amende.

Enfin la Cnil peut être saisie, et émettre des sanction administratives.

Flouter les images pour réduire le préjudice ?

Piotr Pavlenski a pris la parole dans plusieurs médias pour confirmer ses actes, qui pourraient pourtant être qualifiés d’atteinte à la vie privée. Mais après avoir fièrement défendu sa publication, qu’il juge comme un acte politique, il a pris deux petites précautions. D’abord, un petit message de prévention s’affiche désormais à l’ouverture du site et précise que le contenu est réservé au plus de 18 ans.

Les images compromettantes sont déjà archivées

Ensuite, les vidéos non-censurées des parties génitales publiées sur son blog ont été retirées dans la matinée de vendredi. Elles ont été remplacées par une version censurée, et donc presque intégralement floutée puisque la vidéo se concentre sous la ceinture. A-t-il fait cela pour mieux se protéger des poursuites judiciaires ? « Il y a de la jurisprudence qui dit que si la personne n’est pas clairement identifiable, l’atteinte à la vie privée peut être limitée », relève Sabine Marcellin, avant d’ajouter : « Mais c’est sujet à interprétation ». Plusieurs paramètres rentrent alors en compte, notamment le contexte de la publication. Rien n’assure donc que cette manœuvre de dernière minute aide le futur accusé. Surtout qu’une version non censurée est toujours présente sur le site, et que comme le rappelle Next Inpact, le contenu a déjà été dédoublé aux quatre coins du net.

Quid des partages sur les réseaux sociaux ?

Après la diffusion sur le site, les images se sont rapidement répandues sur les réseaux sociaux. Plusieurs comptes Twitter avec de nombreux abonnés ont notamment relayé l’information. Le député Joachim Son-Forget, qui a quitté la République En Marche en décembre 2018, a posté un lien vers le site qui diffusaient les images. Jeudi à 18h15, il accompagnait le lien d’un message à destination de ses plus de 60 000 abonnés : «  J’espère que ces vidéos sexuelles infligeantes incriminant Benjamin Griveaux et une jeune femme seront démenties par l’intéressé et son équipe car une telle diffamation serait extrêmement grave dans la campagne pour Paris. » Il a depuis retiré son message, mais a déclaré au micro de CNews qu’il ne regrettait pas son tweet. Il n’est pas le seul : plusieurs comptes de moins grandes importances, parfois anonymes l’ont fait.

« L’article initial, un tweet qui le reprend ou même un retweet peuvent tous être considérés comme des délits  », explique l’avocate. Plus le cercle de diffusion est important, plus le diffuseur du message s’expose à des sanctions.

Dans le cas des retweet, il existe des jurisprudences sur l’atteinte au droit d’auteur ou sur la diffamation, qui ont mené à la condamnation d’utilisateurs du réseau social pour leur RT. Mais dans le cas de l’atteinte à la vie privée, la jurisprudence se fait plus rare. « Dans le cas d’un retweet, j’ajouterais qu’il peut y avoir une minoration selon le contexte », précise la juriste. Un post se félicitant de la fuite des images ne sera donc pas jugé de la même manière qu’un post qui dénonce la pratique maladroitement.

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