Pas d’antennes Huawei en France chez Orange qui se dit « préoccupé » des risques pour la sécurité des infrastructures chinoises. En revanche, loin de Paris, l’opérateur est bien moins « préoccupé ».

Avant même d’accéder au comptoir, un imposant présentoir nous barre la route : les couleurs sont criardes et le texte vante les mérites d’un nouveau smartphone Huawei. Pour ce genre de dispositif, les constructeurs s’arrangent avec les opérateurs pour obtenir des placements préférentiels dans les magasins. Dans cette boutique Orange d’Abdoun, Jordanie, Huawei semble ne laisser aucune place aux concurrents : même Apple se trouve relégué sur un tout petit stand dans une boutique pourtant immense.

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Orange « flagship store », à Abdoun, Amman. Source : Orange Jordan.

Ici, l’opérateur hexagonal règne sur le marché de la fibre et se partage un tiers du marché mobile. Il est implanté en Jordanie mais aussi à quelques centaines de kilomètres au Nord, en Irak, ou encore sur l’autre rive de la mer rouge, en Égypte, et pour aller plus loin que le Moyen-Orient, on pourrait aussi mentionner que l’opérateur français est installé avec succès en Afrique subsaharienne et en Europe de l’Est. Dans dix de ces marchés qu’on qualifierait d’émergents, Orange a lancé de grands travaux pour installer la 4G. Dépensant là des millions d’euros d’investissement afin de prendre le dessus sur les opérateurs locaux. Cet effort de l’entreprise s’est fait avec un partenaire cher à Orange : l’équipementier chinois Huawei.

Ce dernier, leader sur les équipements téléphoniques dans le monde depuis le début du millénaire, offre au Français des prix avantageux pour implanter les coûteuses antennes de dernières générations. L’entente sino-française ne se limite par ailleurs pas à l’équipement : partout où il est installé, l’opérateur vend des téléphones Huawei. La symbiose est, comme le raconte cette boutique d’Amman, parfaite.

Une poussée d’antennes dans le désert

Pourtant, cette relation agace parfois la France, actionnaire de l’opérateur, dont les services de renseignement ne partagent pas l’enthousiasme pour Huawei. Il faut remonter au 21 décembre 2016, jour où, au Château, auprès de François Hollande, la DGSE, DGSI, Bercy et la Défense s’inquiètent des décisions d’Orange comme le rapportait le Canard Enchaîné.

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Palais de l’Élysée Nicolas Nova

Le groupe vient de signer, discrètement, un accord avec Huawei qui s’occupera désormais du cloud des clients français de l’opérateur. Les services secrets, qui notaient la proximité entre la firme et Pékin, s’étranglent : les données des clients iront directement sur les serveurs chinois. L’opérateur nuance : cela ne concerne pas les entreprises, et, toujours selon le Canard, c’est à cause de Free, « si on veut rester compétitifs sans licencier, il faut bien qu’on noue des alliances avec les acteurs les moins chers du marché » se plaignait un cadre de l’opérateur.

Depuis cette indiscrétion, le sujet est resté dans les esprits : quand les Américains réaffirmaient leur bannissement des équipements et téléphones Huawei pour des raisons de sécurité nationale, de nouveau les regards se tournaient vers l’État et son opérateur. Quand le GCHQ anglais se plaignait des efforts modestes du Chinois pour respecter des consignes de sécurité : l’inquiétude s’intensifiait.  La France n’est cependant pas restée coite : lors de l’installation des équipements 4G, remontant au début de la décennie, les infrastructures dites cœur de réseau ont été sacralisées par les autorités — aucune de ces super antennes ne peuvent être fournies par Huawei. Orange s’attacha à respecter la consigne… En France seulement.

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Antennes dans la ville d’Azraq, Jordanie Corentin Durand

Au moment où les radios venues d’Europe du Nord, celles d’Ericsson et de Nokia, s’élevaient dans les campagnes françaises, les antennes chinoises poussaient dans le désert arabe sous l’étendard d’Orange. Lorsque l’activité d’Orange ne concerne plus les pouvoirs publics français, la loi du marché s’applique.

La Chine, entre un verre de vin et une bouchée de homard

Dans un excellent papier, le Sydney Morning Herald, raconte le chaleureux cocktail partagé par Justin Trudeau avec les espions les plus puissants de la planète en juillet dernier. Ce soir d’été canadien, près d’Ottawa, les grands chefs des services formant l’alliance Five Eyes — l’Australie, les États-Unis, le Canada, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni –, se réunissaient autour d’un verre, après une réunion technique. Selon les journalistes australiens, c’est entre une assiette de homard et un verre de vin canadien que le sujet chinois change la tournure de la soirée.

La Chine, décide-t-on ce soir-là, sera le prochain sujet

Après des années d’obnubilation nécessaire sur le terrorisme religieux, il est temps, semblent penser les barbouzes, que les services secrets retrouvent leurs plus habituelles inquiétudes : la Chine communiste, la Russie autoritaire. Salisbury, où un ex-agent russe a été empoissonné, a remis sur la table des Five Eyes la coopération nécessaire contre ces ennemis venus de l’Est. La Chine, décide-t-on ce soir-là, sera le prochain sujet. Depuis cette soirée, la vaste majorité des services ont monté d’un ton contre Pékin et véritablement lancé une guerre contre Huawei.

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Justin Trudeau à la cérémonie d’ouverture des Canada Summer Games, Marcel Druwe

D’abord, l’équipementier de Shenzhen a été banni en Australie. Une semaine plus tard, en Nouvelle-Zélande, même rengaine. La guerre commerciale est déclarée. En décembre, le Canada allait dans le même sens quand, au Royaume-Uni, malgré plus de quinze années de coopération sino-anglaise, l’opérateur BT annonçait la fin des équipements Huawei sur son réseau. Les Américains regardaient avec amusement cet effet domino : le Congrès a banni indéfiniment tous les produits Huawei depuis plusieurs années déjà.

Orange est « préoccupé »

Dans la tempête, la France est restée discrète. D’abord parce que ses services de renseignement n’ont pas intérêt à s’aligner sur toutes les initiatives des Five Eyes et que des preuves attendent encore d’être formulées sur l’espionnage de Huawei. Ensuite, parce que la solution française est connue : aucune infrastructure critique ne peut être signée Huawei. Bercy, par la voix de Bruno Le Maire, rappellera la règle édictée par les gouvernements précédents. Orange de son côté s’est montré plus zélé : auprès de Reuters, Stéphane Richard, PDG de l’opérateur a commenté : « Nous ne ferons pas appel à Huawei pour la 5G, nous travaillions avec nos partenaires traditionnels, Nokia et Ericsson, ajoutant, je comprends tout à fait que nos pays, et les autorités françaises, soient préoccupés [par Huawei]. Nous le sommes aussi. »

« Nous ne ferons pas appel à Huawei pour la 5G »

En réponse, Huawei signifiait simplement qu’il n’avait pas fourni la 4G française d’Orange et ne s’attendait pas à participer au marché de la 5G. En revanche, à l’étranger, Huawei a confirmé sa coopération avec le Français et compte continuer pour la 5G. Contacté, Orange n’a pas souhaité infirmer que ses équipements 5G hors de nos frontières seraient fournis par Huawei, c’est pourtant ce à quoi les experts s’attendent. Comme si, la menace chinoise s’arrêtait aux frontières françaises et que laissait traîner les oreilles de Pékin dans les capitales du monde arabe et de l’Afrique était un risque négligeable.

Pourtant, ce jour-là, dans cette luxueuse boutique Orange aux couleurs de Huawei, ce sont quinze militaires français en mission qui avaient récupéré des cartes SIM couleur désert.

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